Le pitch: P’tit Quinquin, un garçon du Boulonnais, occupe ses vacances comme il peut, avec ses amis. Un jour, ils voient un hélicoptère de la gendarmerie survoler la plage puis sortir une vache morte d’un blockhaus. Le commandant Roger Van der Weyden, accompagné de Rudy Carpentier, mène l’enquête sur cette découverte macabre : une femme démembrée est retrouvée dans le ventre de la vache.

Toujours en équilibre entre le burlesque et la mélancolie, entre le polar et le film social, P’tit quinquin, c’est la quintessence du cinéma de Bruno Dumont.
Dans la région du Boulonnais, sur le littoral du Pas-de-Calais, “P’tit quinquin” et sa bande de potes s’amusent à faire exploser des pétards sur la plage. Soudain, un hélicoptère de police attire leur regard vers une scène absurde : le corps d’une vache a été retrouvé dans un vieux blockhaus. Sur la scène de crime, deux gendarmes patibulaires et maladroits, Van Der Weyden et Carpentier, tentent de faire la lumière sur cette bizarrerie. Une bizarrerie d’autant plus macabre que se trouve, dans le corps de la vache, celui d’une femme, démembrée.

Conjuguer de la sorte un fait-divers sordide avec un comique de situation volontairement désuet et l’éveil sentimental d’un jeune paysan pré-ado… pas de doutes, on est bien chez Bruno Dumont. Depuis ses débuts à la fin des années 90, le cinéaste a (presque) toujours cherché son ancrage dans cette région rurale, aux allures de désert maritime, peuplée de personnages truculents. Des personnages dont il serait facile de singer les mimiques et les accents, ce que Dumont refuse ostensiblement de faire. C’est pourquoi il use régulièrement du casting dit “sauvage” pour dénicher des acteurs et actrices non-professionnel(le)s, issus de ce milieu qu’il refuse de trahir.
P’tit quinquin fait l’effet, dans sa filmographie, d’une farce, d’un décalage absurde qui paraît, à première vue, l’éloigner de son goût pour l’exploration et la contemplation. Malgré la nature télévisuelle de cette oeuvre, Bruno Dumont ne perd au contraire rien de son sens aigu de la mise en scène. Jamais cette région finalement oublié du territoire français n’a été aussi sublimement cadrée, et certains plans vous rappelleront tour-à-tour les westerns de John Ford ou les films naturalistes et hypnotiques de Robert Bresson. Véritable OVNI dans le paysage du cinéma français, Dumont fabrique ici le nouveau carreau d’une mosaïque où le mélange des genres est une norme.
Ainsi, face à la noirceur de son intrigue, P’tit quinquin oppose toujours les deux corps dégingandés et balourds de ses gendarmes, incarnés eux aussi par des acteurs amateurs, Bernard Pruvost et Philippe Jore. Ces “Dupont et Dupond” du Nord, leur accent à couper au couteau, leurs mouvements erratiques et leur incompatibilité de caractère font tout le sel comique de la série – difficile de ne pas pouffer devant cette scène où Van Der Weyden, vieux flic aigri et colérique, tire un coup de feu en guise de sonnette, au grand dam de l’intègre mais lâche Carpentier.

Mais comme toujours chez Dumont, la légèreté de son tempo comique dissimule une mélancolie, une angoisse existentielle qui habite tout entier son son personnage principal. “P’tit quinquin” est une allégorie de cette région où les humains observent la mer, immense, comme un reflet du vide qui caractérise leur vie. Impossible de ne pas s’attacher à ce personnage de petit caïd qui roule des mécaniques mais tombe l’armure quand il prend dans ses bras sa voisine, “son amour” comme il dit. Dans P’tit quinquin, la seule chose aussi marquante que l’humour et le goût de Dumont pour l’absurde, c’est une indéfectible tendresse, une empathie débordante pour ces prolétaires oubliés du monde rural, définitivement érigés, grâce à lui, au rang d’icônes de cinéma.
Parce que cette carte blanche donnée à Bruno Dumont eu l’effet d’une bombe lors de sa présentation à la quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes 2014.
