Ce film est l’histoire d’un rêve éveillé. Celui d’un garçon de 16 ans prénommé Youri, comme Gagarine : le célèbre cosmonaute soviétique qui donna son nom dans les années soixante à la cité d’Ivry où cet adolescent a grandi. Lui aussi veut conquérir l’espace un jour. Or lorsqu’il apprend que sa cité va être rasée, Youri entre en résistance avec pour mission de sauver le bâtiment…

Gagarine est une œuvre touchée par la grâce qui dégage un charme fou et même par instants une forme de magie réelle de part sa beauté visuelle. La cité Gagarine d’Ivry Sur Seine où le film a été tourné a été rasée juste après la fin des prises de vue, conférant à ce travail de fiction une valeur mémorielle. Le résultat est d’autant plus bluffant qu’il est l’œuvre de deux débutants trentenaires, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, deux anciens de science-po Bordeaux entrés en cinéma par ricochet.
L’idée du film leur est venue sept ans plus tôt après qu’on leur ait demandé de réaliser pour un travail documentaire des interviews d’habitants de la cité de briques rouges composée de 370 appartements. Devant l’édifice ils se souviennent avoir eu l’impression d’entrer, non dans une cité, mais “dans un vaisseau spatial”. Il ne leur restait plus qu’à imaginer quel type de cosmonaute prendrait les commandes. À propos, Alséni Bathily qui joue Youri n’avait jamais fait de cinéma. À croire qu’il dissimulait un talent extra-terrestre !

La vie des cités se révèle être une mine pour le cinéma. Les succès de Bac Nord de Cédric Jimenez, ou des Misérables de Ladj Ly, n’en sont qu’un exemple. Mais la force et l’originalité de Gagarine réside dans le regard plein de tendresse, de compassion même, porté sur cette banlieue là, dont la construction dans les années soixante répondait au souhait utopique d’offrir une existence meilleure aux familles de la classe populaire. Le principe de réalité a prouvé que les grands ensembles ne garantissent pas le vivre ensemble. En dépit de quoi, l’attachement au seul lieu que Youri ait connu, le conduit à protéger son cocon, dépositaire de ses souvenirs d’enfance.
En ouverture, les images d’archive montrant l’inauguration de la cité par Youri Gagarine en 1963 donnent une idée de l’espoir soulevé par ce projet urbanistique à Ivry, mais aussi dans toutes les municipalités autour de Paris qui composent ce qu’on appelle alors “la ceinture rouge”. Après tout, il s’agît d’en finir avec les bidonvilles qu’on dénombre autour de la capitale. Fanny Liatard et Jérémy Trouilh ont découvert l’existence de ces images à la fin du tournage. Elles dormaient dans les archives audiovisuelles du PCF.

La dimension onirique du récit trouve son fondement dans les années passées en Amérique du Sud par le couple de réalisateurs. En Colombie pour elle, au Pérou pour lui, ils ont découvert le réalisme magique qui imprègne notamment la littérature. En y recourant, ils ont vu un moyen “d’aborder le réel et sa violence par un autre biais”, mais aussi “d’installer un dialogue permanent entre le réel et l’imaginaire, et de naviguer entre l’effondrement (du personnage et de l’immeuble) et l’apesanteur” expliquent-ils. Durant le tournage qui s’est déroulé tel un rêve, ils ont dû composer avec la réalité de la destruction de la cité. Ils l’ont vécue en tant réel. “Avant de commencer à démolir, ils désossaient le bâtiment et le désamiantaient : on voyait passer des hommes en masques et combinaisons blanches : des astronautes !”
Ecrit par Carlos GOMEZ
PARCE QU’IL est rare qu’une histoire de vaisseau nous entraîne si haut sans quitter la terre.
