Pourquoi regarder SOUAD de Ayten Amin ?

Qui est donc Souad ? Est-ce cette jeune femme anxieuse mais excitée à l’idée de rencontrer enfin la famille de son fiancé, en service militaire dans le Sinaï ? Est-ce cette petite renfrognée qui râle contre ce fiancé, tout d’un coup plus âgé et chirurgien ? Est-ce la fille sagement voilée qui fait ses prières tous les soirs ? Ou plutôt celle qui ôte son foulard dès qu’elle le peut et passe son temps vissée à son portable à discuter avec un inconnu ? Dès le début du film Souad, la réalisatrice égyptienne Ayten Amin disperse son personnage éponyme. Toutes ces vies inventées, dans le bus, dans la rue ou dans sa chambre, ont pour point commun les mensonges, plus ou moins gros selon les cas, qui leur donnent corps.

On pourrait alors croire que l’objectif de la cinéaste est de suivre, caméra à l’épaule, cette anti-héroïne touchante et visiblement malheureuse, pour voir où la mène cette incapacité à être totalement elle-même. Mais Ayten Amin a d’autres projets pour ses spectateurs et spectatrices. Au détour d’un plan-séquence bouleversant, Souad change de perspective, abandonne la jeune femme de 19 ans pour s’intéresser à sa petite soeur, Rabab, qui en a trois de moins. Commence alors une quête de vérité. Pour comprendre ce qui est arrivé à son aînée, Rabab doit retrouver l’homme auquel écrivait Souad et détricoter le fil des mensonges.

Cette enquête la mène de sa campagne à Alexandrie et, sur ses traces, c’est aussi le public qu’Ayten Amin emporte en voyage à travers l’Egypte. Devant sa caméra caressante, qui épouse régulièrement le point de vue de ses personnages, le pays se découvre tiraillé entre son conservatisme et l’irruption des obsessions les plus contemporaines. Les jeunes filles voilées arborent aussi les vêtements de grandes marques américaines, symboles du capitalisme et de la mondialisation la plus débridée. Ces mêmes jeunes filles, auxquelles on enjoint de s’en remettre à Dieu et de rester sagement chez elles jusqu’au mariage, voient les autres danser sur les réseaux sociaux, avec la tentation de les imiter.

À l’inverse, les hommes ont, eux, la possibilité de se saisir sans crainte de tous les instruments du monde nouveau. Le correspondant mystérieux est un « créateur de contenus », un autre inventeur de vie patenté, que Rabab met face à ses contradictions mais qui ne risque rien d’autre que l’opprobre de la jeune fille. Leur rencontre pousse d’ailleurs Souad vers les codes et la douceur des films de couples errants dans une ville, à la Before sunrise, autant que vers le conte initiatique. Ayten Amin fait soudainement grandir Rabab et la confronte à la violence de la vie adulte. Car c’est aussi cela que nous raconte la réalisatrice égyptienne : les tensions d’une société mouvante sont toujours plus douloureuses pour les femmes.


PARCE QUE ce beau film emprunte des chemins inattendus pour explorer les tensions de l’Égypte, tiraillée entre son conservatisme et ses désirs contemporains.

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