Lars Von Trier est-il vraiment un provocateur ? Et si derrière les outrances de ses films se cachait un réalisateur particulièrement mal à l’aise avec le monde ? Plus encore que les autres, The house that Jack built confirme l’idée d’un autoportrait d’artiste, totalement désemparé face à ses névroses.
Depuis Breaking the waves, quoiqu’on puisse se demander si ce n’est pas le cas depuis son premier long métrage, Element of crime, Von Trier ne cesse d’explorer les chemins de croix de personnages torturés. Le tueur en série de The house that Jack built fait encore moins exception à cette règle mais retourne ce principe quand le récit de son parcours meurtrier à un mystérieux confesseur laisse peu à peu apparaître les questionnements personnels du réalisateur plus marqué qu’on le pensait par la fameuse conférence de presse cannoise de Melancholia en 2011, et son aussi grinçante que malheureuse sortie sur sa compréhension du nazisme.
Pour aussi perturbant qu’il soit dans sa crudité, The house that Jack built a pourtant tout du mea culpa d’un Von Trier interrogeant le bien-fondé de son travail comme de ses valeurs. Et s’il ne demande sans doute pas, égocentrisme oblige, qu’on le pardonne, cette éprouvante odyssée dans l’esprit malade d’un tueur en série, s’avère moins dérangeante que la mise à nu de son auteur, l’auto-introspection de d’un Von Trier prisonnier de son enfer personnel étant à l’arrivée bien plus sombre que la balade sanglante qu’elle propose.
Il y a plusieurs origines à The house that Jack built. Dans un premier temps, Lars Von Trier annonçait en 2014 se lancer dans une mini-série télé de huit épisodes pour faire un nouvel état des lieux d’un monde gangréné par le Mal après L’hôpital et ses fantômes. Le projet se trouva impacté au gré de son écriture, par la montée en puissance de mouvements nationalistes en Europe et celle vers le pouvoir suprême de Donald Trump en Amérique. Von Trier y voyant la confirmation d’une ère des plus sombres, allant jusqu’à la qualifier dans la presse anglaise de celle du remplacement de l’homo sapiens par l’homo trumpus.
Difficile pour autant de ne pas voir aussi dans The house that Jack built, une sorte de bilan d’étape de la carrière de Von Trier, prolongeant celui qui s’esquissait déjà dans le dyptique des Nymphomaniac lorsqu’en plus de faire du personnage de Jack un tueur qui voit ses crimes comme une forme d’art, une œuvre en construction, le film inclut dans les discussions entre Virgil et lui, des extraits de la plupart des longs métrages de Von Trier, citant quasiment toute sa filmographie, d’Europa au Volume 2 de Nymphomaniac en passant par Dogville ou Antichrist, quand le titre lui-même n’est pas une référence directe à Element of crime, où son rôle féminin principal apparaissait en chantant des paroles d’une berceuse intitulée elle aussi The house that Jack built.
Von Trier s’écarte pour autant de lui-même avec d’autres clins d’œil dans son film : Jack se voit comme un architecte du meurtre ? Matt Dillon, engagé pour ce rôle n’en était pas si loin dans Mary à tout prix, où son personnage prétendait être un architecte soupçonné d’être un tueur en série. De même pour le comportement de Jack, inspiré par celui de légendaires tueurs : la manière dont il tue une de ses victimes est la même que celle de Jack L’éventreur, tandis qu’il conserve des corps dans un frigo comme Richard Kulinski ou simule une blessure pour piéger une autre proie comme le fit Ted Bundy. The house that Jack built restant sous une influence principale littéraire : l’épilogue du film faisant autant écho direct à une des parties de La divine comédie de Dante, celle consacrée à l’enfer, confirmant que ce film-là n’est pas une apologie du crime mais bel et bien le récit d’une damnation.
Alex Masson