Pourquoi regarder LA PRIÈRE de Cédric Kahn ?

Cédric Kahn ne se lasse pas de nous raconter des destins singuliers. Après Vie sauvage, qui nous attachait aux pas d’un homme ayant pris le maquis pour ne pas devoir rendre ses fils à son ex-compagne après leur divorce, La Prière s’intéresse aux efforts d’un ex-toxico pour se sortir de son addiction. Une démarche difficile, comme l’a montré au même moment Marie Garel-Weiss dans La fête est finie. Mais contrairement aux deux filles camées de ce film-là, l’ado de La Prière ne dérive pas à hue et à dia pour trouver le chemin de la rédemption.

Comme le titre du film le laisse supposer, c’est au sein d’une communauté religieuse qu’il cherche à rompre avec ses démons. Le premier atout du film, c’est la prestation d’Anthony Bajon, qui jamais ne semble jouer pour incarner cette force butée que l’on devine pleine de fissures. Qui évoque celle de Rod Paradot dans La Tête haute, d’Emmanuelle Bercot. Le comédien n’était au départ pas connu, et cela faisait partie du projet. Il recevra un Prix d’interprétation à Berlin.

Cette sensation de force intranquille qui émane du personnage, Kahn a visiblement voulu qu’elle imprime tout son film. Quand La Prière débute, nous sommes en tête à tête avec l’ado en crise, au moment où il arrive au centre. Nous ne le quitterons plus. D’abord peu désireux d’attirer l’empathie, le personnage va progressivement nous apprivoiser. Mais Cédric Kahn ne cherchera jamais à forcer le mouvement, conservant tout au long du film une distance. Le cinéaste n’étant ni croyant ni ex-toxico, il avait en tous cas toutes les raisons du monde de conserver un regard sans doute bienveillant mais résolument extérieur.

Quelle que soit notre position personnelle sur la foi et les religions, la tentation est grande d’adopter la position du réalisateur, qui jamais ne fait de prosélytisme mais reste en permanence à l’écoute de ses personnages. Tout passe en fait par le jeu des comédiens, brut de décoffrage, mais aussi, bien sûr par la mise en scène. La solitude qui d’abord étreint les nouveaux arrivants, la solidarité, la fraternité même qui peu à peu s’instaure trouvent leur expression dans la sobriété de la caméra. Ce qui n’empêche pas le film d’osciller en permanence entre l’individu et le collectif, l’enfermement du centre et l’espace des montagnes qui l’entourent. C’est en Isère que le tournage a fait son nid, dans un lieu magique qui devient un personnage à part entière.

La Prière a beau labourer un champ inédit de l’imaginaire de son auteur, il faut bien admettre que nous ne sommes pas vraiment désarçonnés, tant le signataire de Roberto Succo ou d’Une vie meilleure aime interroger le tissu social, là où des plaies se sont formées. Sans doute parce que les gens heureux n’ont pas d’histoire et que le cinéma se nourrit justement d’histoires, les personnages sont le plus souvent en recherche de résilience, invitant les spectateurs à lutter avec eux. Tous les personnages des films de Kahn n’ont pas besoin d’être de parfaits inconnus, après tout c’est Mathieu Kassovitz qui campait le père révolté de son film précédent, Vie sauvage. Mais tous ont besoin de posséder cette force vitale qui leur permet d’avancer. Une force vitale qui pour certains se nomme foi.

Et c’est là où Cédric Kahn était attendu au tournant. Comment filmer la foi ? Le cinéaste a manifestement été fasciné par son mystère, par la tranquille assurance de ceux qui croient. Et quelles que soient les rebuffades de ses personnages, il donne manifestement quitus à ceux qui expliquent le monde par l’inexplicable. Pourquoi pas ? Restait à l’incarner à l’image. Pour ce faire, il a laissé à chaque spectateur le soin de se forger sa propre conviction. C’est ce que l’on appelle du cinéma ouvert, du cinéma qui respire. Ce n’est plus si courant.


PARCE QUE le film révèle un nouveau talent dont on peut attendre beaucoup, celui d’Anthony Bajon.

Voir le film

Articles recommandés

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *