Pourquoi regarder JALOUSE de David Foenkinos et Stéphane Foenkinos ?

L’héroïne de ce film se nomme Nathalie Pêcheux, tout le monde ne peut pas s’appeler Scarlett O’Hara. Elle est professeur de lettres, divorcée, la cinquantaine apparemment heureuse. Elle vit avec sa fille, majeure depuis peu et à qui la vie tend les bras. C’est là que le bât blesse, car notre Nathalie a le sentiment qu’à l’inverse la vie ne lui fait plus de cadeau, qu’elle ressemble à une peau de chagrin. Elle nourrit dès lors une jalousie de plus en plus maladive à l’égard de ceux qui vivent sans amertume, autant dire à peu près tout le monde. Et elle entreprend de leur faire payer cher.

Jalouse est un film courageux, car il n’est pas facile de placer un personnage aussi négatif, aussi désagréable au centre d’un récit et d’inviter les spectateurs à s’y identifier. Il arrive de temps à autre que les dents grincent, mais les signataires du film nous mettent tout de même dans leur poche. D’une part parce que c’est Karin Viard qui incarne l’odieuse et que nous percevons sans difficulté une fragilité derrière son agressivité bête et méchante. Et d’autre part parce que Jalouse est une comédie.

Mais c’est tout le prix de ce film plus subtil qu’il n’y paraît au premier regard que de susciter de concert rire et malaise. Les situations sont sans doute caricaturales, mais cela ne nous empêche pas de percevoir l’énergie vacharde de notre héroïne comme une émanation de pulsions autodestructrices, voire suicidaires, du moins socialement. Il faut d’ailleurs tout le talent, toute la délicatesse, pour reprendre un terme cher aux frères Foenkinos, de Karin Viard pour que nous fassions nôtre l’ambiguïté du personnage, capable de passer en une fraction de seconde du sourire chaleureux au trouble le plus contagieux.

Des jaloux, des jalouses, le cinéma en est plein, certains portant des pathologies autrement plus sévères que celle dont est atteinte notre Nathalie Pêcheux. Le personnage interprété par Serge Reggiani dans L’Enfer de Clouzot, qui doute de la loyauté de sa femme jusqu’à avoir des visions récurrentes de son infidélité et qui le rendent fou. La comédienne débutante de Eve, le chef d’œuvre de Joseph Mankiewicz, dont l’idée fixe est d’occuper la place de celle qu’elle fait mine de vénérer. Le musicien frustré d’Amadeus qui ne supporte pas d’être supplanté par Mozart, dont le génie éclabousse la cour. Et ce Monsieur Ripley qui dans Plein Soleil assassine son riche ami pour hériter de sa fortune et de ses conquêtes. Sans oublier la Reine de Blanche-Neige à qui son miroir dit et redit qu’elle serait la plus belle du royaume si sa bru n’était pas cent fois plus jolie qu’elle. D’où l’idée de la faire tuer par son grand veneur.

Nathalie Pêcheux n’en est pas réduite à ces extrémités meurtrières, mais le poids de sa jalousie est suffisamment lourd pour que l’on se passionne pour son cas. Cette femme au bord de la crise de nerfs qui a le sentiment d’être une naufragée de la vie dans un monde où tout le monde semble atteindre le nirvana, cette quinqua qui enrage des flétrissures du temps et s’en prend à ceux qui n’en peuvent mais était un personnage en or pour une comédienne comme Karin Viard, qui sous ses airs bravaches et son ton cru cache souvent des fêlures intimes. Personne ne serait sans doute parvenu à zigzaguer comme elle le fait entre l’odieux et le pitoyable, entre la fantaisie et la noirceur. Les réalisateurs avaient peur que la comédienne se retienne. C’est l’inverse qui s’est produit, puisque celle-ci a insisté pour pousser le personnage jusqu’à ses limites extrêmes.

Les auteurs de cette comédie inquiète, ou de ce drame joyeux, sont frères. Comme les Coen, les Taviani, les Larrieu ou les Dardenne. David et Stéphane Foenkinos signent avec Jalouse leur deuxième long métrage, après La Délicatesse, en 2009. Si huit ans séparent les deux films, c’est parce que les deux frères ne sont pas cinéastes à plein temps… Stéphane, l’aîné, est en effet l’un des directeurs de casting les plus courus de l’Hexagone. Il a travaillé sur plus de 70 longs métrages, pour Jacques Doillon, André Téchiné, Benoît Jacquot, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, François Ozon, Danièle Thompson, mais aussi Woody Allen, Terrence Malick ou Robert Zemeckis. Son nom est au générique de plusieurs James Bond et même d’un Harry Potter. Et David est l’un des romanciers les plus côtés du moment, lauréat de plusieurs prix prestigieux. La Délicatesse est pour certains son chef d’œuvre. Mais il est également le signataire des Souvenirs, que Jean-Paul Rouve a porté à l’écran. Les amis des frères affirment qu’ils ne partagent pas les mêmes goûts en matière de cinéma… Franchement, cela n’empêche pas leurs films de pouvoir se targuer d’une belle unité.

Ecrit par Yves ALION


PARCE QUE Karin Viard finit par être touchante dans la peau d’une femme que l’on voudrait dans un premier temps gifler tant elle est odieuse.

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