Le pitch: Journaliste à Paris, Anne croise la route de deux étudiantes, Alicja et Charlotte, qui pratiquent la prostitution. Contre toute attente, cette rencontre va bouleverser le quotidien de la journaliste.

Elles, c’est d’abord un titre, dont il ne faut pas négliger le caractère pluriel. Le portrait croisé de trois femmes, réunies par un exercice de dévoilement plus trouble qu’il n’y paraît. D’abord, deux jeunes étudiantes, toutes deux prostituées – l’une française, Charlotte, l’autre polonaise, Alicja. Deux femmes au parcours atypique qui vont trouver dans la confession journalistique un moyen de se réapproprier leur vécu, conditionné par les desideratas des hommes qui les payent. Et puis, la journaliste, Anne, dont la position initialement distante ne va pas faire illusion bien longtemps. Confrontée aux récits et au vécu de ces deux jeunes femmes, Anne va petit à petit se dévoiler à son tour, écorcher sa carapace et mettre à nu, face au spectateur, la morosité de son propre quotidien, certes bourgeois et confortable, mais au fond terriblement vide de sens.
Toujours très proche de ses personnages, la caméra de Malgorzata Szumowska est tremblante, fiévreuse, comme un signe de ce bouillonnement intérieur qui tarde à surgir. En réponse aux questions précises et intimes d’Anne, la cinéaste ausculte ces morceaux de vie avec un mélange paradoxal mais harmonieux de crudité et de style. La sexualité est ainsi représentée sans fard, dans un réalisme extrême, et le film ne rechigne devant aucun détail, dans les actions comme dans le verbe. Et pourtant, la caméra se place toujours à bonne distance, soignant méticuleusement le cadrage pour souligner l’étrange délicatesse qui peut se dégager d’une relation tarifée.

Indubitablement, Elles est un film politique qui saisit avec une éclatante justesse la violence d’une société de classes. Sans avoir à retenir l’écart gigantesque qui sépare la journaliste parisienne à l’appartement luxueux des jeunes femmes prolétaires qu’elle interviewe, Charlotte et Alicja, même dans le monde interlope de la prostitution, ne jouent pas à armes égales. La première jouit (sans mauvais jeu de mots) d’un certain confort dans son quotidien de call-girl, là où la seconde demeure plus ostracisée, limitée dans ses gestes par sa nature d’immigrée, isolée, et visiblement plus meurtrie par son travail.
Pour incarner ce trio de femmes intimement liées, Malgorzata Szumowska peut compter sur un casting des plus investis. Juliette Binoche est comme d’habitude impeccablement juste ; Anaïs Demoustier amène une dimension surprenamment espiègle à son personnage ; et enfin, Joanna Kulig porte à bras-le-corps le personnage le plus ambigu et le plus touchant des trois, une jeune femme déjà brisée par la vie, traversée de part en part par une mélancolie profonde.
Parce que le film propose des portraits de femmes authentiques et trop souvent invisibilisés dans notre société.
