Pourquoi regarder EL PARAISO, de Enrico Maria Artale

Le pitch: Julio César et sa mère, immigrée colombienne, vivent difficilement grâce à la danse, la drogue, leurs souvenirs et au maigre salaire qu’un trafiquant de drogue local leur verse. L’équilibre fragile (et oppressant) est malgré tout maintenu, jusqu’à ce qu’une autre femme impliquée dans le trafic de drogue, Inés, vienne fragiliser cette harmonie entre mère et fils.

Il suffit d’un premier plan pour comprendre la nature de la relation qui unit Julio César et sa mère : elle sort des toilettes d’une boîte de nuit, la cocaïne débordant du nez, habillée à l’identique de son fils, avant de l’entraîner danser la salsa. Les gestes sont fluides, les regards complices, mais déjà tout est là : l’amour, l’emprise, la fusion, la dépendance. Présenté dans la section Orizzonti à la Mostra de Venise 2023, El Paraíso, troisième long-métrage d’Enrico Maria Artale, y a remporté deux prix majeurs : celui du meilleur scénario et celui de la meilleure interprétation féminine pour Margarita Rosa De Francisco.

Cette dernière livre une performance paradoxale : autoritaire mais vulnérable, excessive mais aimante, cette immigrée colombienne est l’inverse de son fils. Edoardo Pesce, tout en intériorité lourde, lui donne la réplique avec une sensibilité à vif. Ensemble, ils composent un duo contradictoire, dont la danse perpétuelle, tantôt sensuelle, tantôt violente, dit tout de la relation qu’ils n’arrivent ni à préserver ni à rompre. Les deux se surveillent, se réconfortent, s’étouffent et se contiennent, accueillant chez eux les mules en transit d’un trafic de drogue. Ce faible équilibre vacille lorsque l’une d’entre elles, Ines, débarque du jour au lendemain et ravive chez le protagoniste des désirs sexuels endormis. La bulle asphyxiante est fissurée. Car si sa mère a le droit de répondre aux approches des hommes, hors de question que Julio se laisse séduire par d’autres femmes que sa mère.

Chaque regard est un jugement, chaque réflexion cache une autre pensée. D’une scène à l’autre, la mère chante son amour à son fils, puis remet en question ses choix de vie dans la suivante, le braque avec un pistolet dans celle d’après. Le chef opérateur Francesco Di Giacomo colle sa caméra aux corps et en capture toute l’ambivalence : les personnages sont coincés dans de petits espaces, et l’intimité se transforme en prison. Lorsqu’ils sortent de leur cocon, tout leur rappelle leur origine et l’illégalité de leur séjour en Italie. La sensation d’enfermement persiste : l’ombre de la Colombie plane dans les chansons, les langues mêlées (l’espagnol et l’italien), les souvenirs, les rêves d’un ailleurs fantasmé.

Oscillant entre réalisme et mélodrame assumé, El Paraíso s’éloigne constamment du paradis annoncé dans le titre : les murs de la maison de Julio et sa mère (que le protagoniste essaye constamment de contourner) ne ressemblent en rien à un havre de paix. Et les quelques échappées hors du huis clos — un bar, une plage, un bateau — sonnent comme autant de fuites illusoires, condamnées à ne jamais aboutir.


PARCE QUE c’est une oeuvre étouffante sur l’amour maternel poussé à l’extrême, avec un Prix d’interprétation féminine à la Mostra de Venise bien mérité.

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