Le pitch: Il est 17 heures, le 21 Juin 1961. Cléo, jeune chanteuse populaire, a passé des examens à l’hôpital de la Salpêtrière pour savoir si elle est atteinte d’un cancer. Elle connaitra les résultats à 19 heures. Malgré la présence de son amant et de ses amis musiciens, elle se sent abandonnée. Elle part donc se promener seule dans Paris en attendant l’heure fatidique.

Deuxième long-métrage écrit et réalisé par Agnès Varda, Cléo de 5 à 7 suit l’errance d’une jeune femme talonnée par la peur de la mort : Cléo (Corinne Marchand), une jeune et ravissante chanteuse qui, après une biopsie de l’estomac, craint d’avoir un cancer et attend dans l’angoisse des résultats d’analyses médicales. Un examen crucial qui va déterminer son destin. C’est cette peur qui va l’accompagner pendant tout le film et qui ne va pas la quitter. D’une durée de 90 minutes, ce drame divisé en treize chapitres suit l’héroïne en temps réel de 17 heures à 18 heures 30. L’action du film se déroule le 21 juin 1961. Cette date correspond au solstice d’été et au plus long jour de l’année. On voit déambuler Cléo dans les rues de Paris, traîner sur la Rive gauche et faire de nombreuses rencontres. Parmi elles, celle au parc Montsouris où elle croise un jeune soldat en permission sur le point de repartir en Algérie où la guerre fait rage. À sa manière, lui aussi semble condamné (pour la petite histoire, ce militaire est joué par Antoine Bourseiller, l’ancien compagnon de Varda et le père de leur fille Rosalie). À la façon d’un compte à rebours tendu vers son dénouement, ce mélo nous captive et nous émeut. L’intelligence de la narration et la sensibilité du regard font de ce film une totale réussite !

Récompensé par le prestigieux prix Louis-Delluc, Cléo de 5 à 7 a été vu et applaudi pour la première fois au Festival de Cannes en 1962. Et a connu ensuite un beau succès en salles. Co-produit par Georges de Beauregard qui avait financé tous les films de la Nouvelle Vague et notamment ceux de Jean-Luc Godard, cette œuvre a été tournée dans l’ordre chronologique en décors naturels mais aussi en noir et blanc, à l’exception de la scène d’ouverture en couleur : la séquence du générique où Cléo consulte une cartomancienne. En effet, la blonde se fait tirer les cartes du tarot de Marseille pour connaître son avenir. Mais la diseuse de bonne aventure voit dans son jeu un mauvais présage… Cléo est d’ailleurs très superstitieuse. Elle voit des signes de danger et de malheur partout. Notamment des vitres et des miroirs brisés. L’omniprésence des montres, des horloges ou des pendules dans le film nous renseigne aussi sur le temps qui reste. L’intrigue est d’ailleurs réglée avec la précision d’un horloger suisse. Elle ressemble un peu à un sablier retourné dont la poudre s’écoulerait de plus en plus vite. Le « 5 à 7 » du titre est une expression qui désigne habituellement une « sieste crapuleuse » ou un rendez-vous extraconjugal de fin d’après-midi. Ici, le titre du film prend une tout autre signification.

Un an avant Cléo de 5 à 7, Corinne Marchand avait déjà joué pour le mari d’Agnès Varda, Jacques Demy, dans Lola (1961). Elle y interprétait Daisy, une danseuse, aux côtés d’Anouk Aimée. Elle avait attiré l’attention de Varda qui l’avait choisi ensuite pour tenir le rôle principal dans Cléo… Au gré de son itinéraire dans le film, Corinne Marchand parcourt en taxi, en bus puis finalement à pied la capitale. Une vraie balade qui nous mène de la rue de Rivoli à l’Hôpital de la Pitié Salpêtrière, en passant par le Pont-Neuf, la rue Mazarine, le carrefour de l’Odéon, la rue de Vaugirard, la rue Vavin, les boulevards Raspail et Edgar-Quinet, la place Denfert-Rochereau, la rue de Rungis et la place d’Italie. Le compositeur Michel Legrand tient ici un petit rôle. Il accompagne au piano la chanteuse dans son atelier. Il y a aussi un interlude burlesque dans Cléo : dans une scène située dans la cabine de projection d’un cinéma, on découvre Les fiancés du pont Mac Donald, un court-métrage muet qui a été spécialement tourné pour le film par Varda. On y croise Anna Karina et Jean-Luc Godard (qui enlève pour la toute première fois ses lunettes noires pour dévoiler ses beaux yeux) mais aussi Yves Robert, Eddie Constantine, Jean-Claude Brialy, Sami Frey et Danièle Delorme !

Cléo de 5 à 7 compte parmi ses nombreux admirateurs Jacques Prévert, André Maurois, Michelangelo Antonioni, Alain Resnais, André Cayatte, Jean-Pierre Dardenne, Joachim Trier, Françoise Sagan, Brigitte Bardot, Michèle Morgan et Annie Girardot. Mais la plus grande fan du film de Varda n’est autre que… Madonna ! Au début des années 1990, la chanteuse a en effet émis le souhait de tourner un remake américain de ce classique du cinéma. La « Reine de la pop » avait d’ailleurs pris une option sur les droits du scénario et rêvait de jouer le rôle de Cléo à l’écran. Varda l’a rencontré à Los Angeles mais finalement ce projet n’a jamais vu le jour. A priori, les studios hollywoodiens exigeaient de changer la fin du film et la réalisatrice française s’y est fermement opposée. Il faut savoir que dans le classement des « 100 meilleurs films français de tous les temps » établi en 2014 par le magazine Les Inrockuptibles, Cléo de 5 à 7 arrive en seizième position, entre Pickpocket (1959) de Robert Bresson et Le rayon vert (1986) d’Éric Rohmer. Une place de choix.
Parce que c’est le parcours intime d’une femme qui attend un verdict médical et cherche un sens à sa vie.
