Celle que vous croyez… C’est un très beau titre, à double fond : on peut entendre « celle que vous imaginez », comme dans l’expression « je ne suis pas celle que vous croyez » ; ou alors « celle dont vous prenez les paroles pour argent comptant ». Et c’est bien d’une histoire à tiroirs qu’il s’agit, un emboîtement de poupées-gigognes toutes plus séduisantes, ou troublantes, les unes que les autres. Le film est tiré du captivant roman de Camille Laurens publié en 2015. En adaptant Celle que vous croyez avec Julie Peyr, scénariste d’Antony Cordier pour Douches froides, Happy Few et Gaspard va au mariage, ainsi que d’Arnaud Desplechin pour Jimmy P., Trois Souvenirs de ma jeunesse et Les Fantômes d’Ismaël, Safy Nebbou trahit pour être fidèle, il change quelques prénoms et le sexe du psy qui était un homme dans le roman, simplifie la structure tout en gardant l’élégance de la trame éclatée, la récurrence (parfois un peu forcée d’ailleurs) des histoires dans l’histoire.
Il y a d’abord le récit que fait l’héroïne, Claire, à sa nouvelle psy, Catherine, leur face-à-face est fait de vrai et de faux, car Claire, tout en se livrant sur les raisons qui l’ont amenée dans cet hôpital psychiatrique, ne dit pas toute la vérité. Elle s’est inventé un double, plus jeune qu’elle pour entrer en contact sur Facebook avec l’ami d’un jeune amant qui la délaissait. Ce piège, destiné à maintenir le lien avec son ex, Ludo, s’est refermé sur elle, lorsque le jeune Alex s’est épris de Clara Antunès avatar blond et juvénile de la brune quinquagénaire, Claire. Dans le même temps, elle-même retrouvait son âme de midinette, suspendue à leurs échanges sur internet et à leurs communications téléphoniques. Jusqu’au moment où, pour ne pas apparaître telle qu’elle était vraiment, Claire a dû prendre une décision qui a mené à la catastrophe…
Il est impossible de révéler ici toutes les strates de cette fiction multiple sur l’amour et le désir, le vrai et le faux, la réalité des femmes de cinquante ans, les dangers des réseaux sociaux. Mis en scène avec malice, jouant sur les reflets et les miroirs, Celle que vous croyez bénéficie d’un casting impeccable où Nicole Garcia, François Civil, et Guillaume Gouix sont épatants. L’interprétation de Juliette Binoche, femme multiple, rompue, conquérante, désirante, mutine, blessée, éparpillée, est le point fort de ce film ambitieux aussi addictif que les passions qu’il relate.
Le cinéma français s’est rarement emparé des réseaux sociaux au point où le fait Celle que vous croyez. Dans sa description de son usage de Facebook, de la dépendance qu’il génère et du plaisir qu’il procure, Claire déclare : « Pour les gens comme moi, c’est à la fois le naufrage et le radeau ». Cette phrase, déjà présente dans le roman de Camille Laurens est une excellente définition du puits sans fond où on engouffre son temps et son énergie, comblant sa solitude et la creusant dans le même temps.
Par ailleurs, Celle que vous croyez est une réflexion sur le vrai et le faux, le récit dans le récit, ce qui s’est passé vraiment, ce qui aurait pu se passer, ce qu’on imagine qu’il aurait dû se passer… C’est dans cette partie que le film est le plus fragile, multipliant, comme son modèle littéraire, les chausses-trapes et les faux semblants. Au point de perdre le fil et d’amoindrir la force du propos.
Mais Celle que vous croyez, le roman comme le film, traite avant tout de la femme de cinquante ans et de son rapport à l’amour. Le personnage de Claire est frappée par la malédiction de la «date de péremption», comme si du jour au lendemain, elle n’était plus « consommable ». Quittée par son mari pour une plus jeune, elle est, à son tour, larguée par un homme de 15 ans son cadet ! Ce diktat sociétal bien réel est ici observé avec franchise et cruauté. La très bonne idée du film est d’avoir placé face à face Nicole Garcia en psy et Juliette Binoche en patiente fracassée : leurs échanges évoquent le temps qui passe, la beauté qui se fane et prennent beaucoup de relief grâce aux gros plans des deux actrices qui jouent le jeu et affirment sans fard rides et cheveux blancs dans toute leur réalité et leur éclat.
Ecrit par Isabelle DANEL
PARCE QUE Juliette Binoche est éblouissante dans cette adaptation du roman homonyme de Camille Laurens, paru en 2016.