LA PUNITION, Matias Bize

Un plan séquence magistral

Depuis quand exactement les films intégralement filmés en plan-séquence sont-ils devenus des performances un peu creuses, destinées à mettre en valeur un dispositif technique et ses artisans plus qu’un propos ? La Punitionfilm qui nous vient tout droit du Chili, rappelle avec vigueur que le procédé, lorsqu’il est employé intelligemment et sans effets de manche, est d’une redoutable puissance. En suivant, pendant 1h26, un père et une mère à la recherche de leur fils perdu dans une forêt, le réalisateur Matías Bize embarque ses spectateurs et spectatrices au bout de l’angoisse de ses personnages.

Lucas n’a pas véritablement échappé à la vigilance d’Ana et Mateo. On le comprend très vite, les parents l’ont laissé sur le bord de la route lors d’un trajet en voiture, ulcérés par une énième bêtise, dont la teneur exacte ne sera dévoilée que plus tard. La fameuse punition du titre ne devait durer que deux minutes mais lorsqu’ils reviennent chercher l’enfant, celui-ci a disparu. Ana et Mateo attendent, crient, appellent et pleurent, en vain. Et sous la pression ressurgissent alors remords, rancunes et angoisses existentielles.

Tout entier tourné autour de ses deux protagonistes, suivis tantôt en plans très serrés pour en absorber le moindre sourcillement, tantôt en plan large pour les perdre dans la végétation, La Punition cache sous ses airs de thriller une réflexion déchirante sur la responsabilité et la parentalité.

Un film qui vous hante

Peu de films peuvent se vanter d’habiter encore celles et ceux qui les voient après la dernière image. Indéniablement, La Punition est de ceux-là. Les yeux hagards d’Ana (magnifiquement interprétée par l’actrice Antonia Zegers, vue chez Pablo Larrain mais aussi dans l’excellente série La Meute) clôt le long-métrage avec une merveilleuse ambigüité qui répond à son ouverture. Car la première image est, elle aussi, celle de la mère, silencieuse, au volant, dont on ne voit qu’un bout de visage encadré par un rétroviseur. Dès le début, Matías Bize oriente donc le regard vers celle qui sera la clef de l’histoire, distillant savamment des indices, depuis ses cernes creusées jusqu’à son apparent détachement par rapport au drame que représente la disparition d’un enfant.

Si le plan-séquence du cinéaste chilien est aussi réussi, c’est précisément parce qu’il parvient à se faire oublier pour servir cet unique objectif : diriger la vue des spectateurs et spectatrices en temps réel dans un environnement qui n’a plus de limite. Sa caméra tournoyante laisse entrevoir l’absence d’horizon, si bien que même lorsqu’elle se pose subsiste la sensation d’un paysage plus grand (et, en l’occurrence, plus dangereux). La Punition est un film aussi fascinant dans ce qu’il montre que dans ce qu’il laisse hors-champ. L’enfant est-il témoin de la panique parentale ? La policière appelée à la rescousse est-elle à proximité, en état de sentir la fébrilité de parents qui n’ont pas dit la vérité ? 

C’est dans son dernier acte que le film prend toute son ampleur dramatique en s’attaquant à son véritable sujet. À partir d’un seul dialogue, quasiment monologué, Matías Bize dessine un monde entier : celui des mères épuisées, des femmes empêchées, des amours filiales qui ne tiennent pas leurs promesses et des inégalités de genre persistantes même avec des maris ou des pères en apparence dévoués. Le grand talent du cinéaste est d’arriver à donner tout cela à voir sans jamais lâcher ses personnages éperdus dans les buissons. Il s’exprime aussi dans sa capacité à les abandonner à la fin sur une fausse résolution, sans soulagement ni perspective. Comme il faisait confiance à ses comédiens pour porter sur leurs seuls visages le poids d’années de souffrance et de conflit, le réalisateur mise sur l’intelligence de celles et ceux qui ont assisté au drame pour imaginer la suite. Et c’est ainsi que certains films vous habitent encore longtemps.

Voir le film

Articles recommandés

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *