Notre entretien avec… Sophie Galibert (CHERRY)

Nico PRAT
J’aimerais qu’on commence avec le commencement : comment est né Cherry ?

Sophie GALIBERT
Alors, comment est né Cherry ? Je pense que c’est un film qui est né quand je suis arrivée aux Etats-Unis, parce que je vis maintenant entre Paris et Los Angeles on va dire, mais ça fait « 7 ans » que je suis à L.A. Et je pense que j’avais envie d’écrire une nouvelle histoire, donc je suis repartie d’une page blanche. J’avais écrit pas mal de scénarios déjà en France.

Mais je voulais vraiment faire une histoire made in L.A., et je suis un peu repartie de zéro. J’ai fait un peu un travail d’introspection, en me disant « Si ça se trouve c’est mon premier et mon dernier film, donc autant parler de quelque chose qui me tient à cœur », et donc je suis partie de moi, tout simplement, parce que c’est une histoire qui m’est « arrivée », c’est romancé mais c’est quand même basé sur ma propre expérience.

Donc comment est née Cherry ? Je pense qu’elle est née d’un désir de raconter cette histoire, de la partager, et de me dire que peut-être qu’il y a forcément d’autres femmes qui l’ont vécu, qui traversent tous les jours le fait de devoir décider ou pas de poursuivre une grossesse.

Moi quand ça m’est arrivée, je me suis sentie beaucoup seule en fait, j’ai eu beaucoup de mal à en parler, et je me suis dit qu’en racontant cette histoire, il y aurait peut-être d’autres femmes qui pourraient aussi en parler. L’idée c’était peut-être de libérer une forme de parole.

Nico PRAT
Ce film c’est beaucoup de vous, et c’est beaucoup d’Alex, votre star, qui est dans chaque scène, j’allais même dire dans chaque plan, qui est le visage sur l’affiche. Question en deux temps : comment s’est faite la rencontre, et surtout comment on sait quand on est face à la personne qui va incarner cette histoire ?

Sophie GALIBERT
C’est vrai que ce film s’appelle Cherry, c’est le personnage principal, et c’est elle qui porte le film, et il y avait cette volonté en plus de ne pas la lâcher et de l’avoir effectivement dans tous les plans. Les plans en plus sont assez longs donc on ne la quitte pas, on la suit, la caméra est constamment en mouvement.

Quand on a cherché, moi j’ai déjà commencé à faire un peu un casting sauvage, par moi-même, un an avant même qu’on tourne, j’ai regardé sur plein de sites. Il y a plein de plateformes de casting ici à Los Angeles. Donc je regardais plein de profils, et je pense qu’en fait j’avais pas vraiment une image en tête mais plutôt une énergie. Je cherchais le Cherry spark, l’étincelle Cherry, cet espèce d’état d’esprit, d’énergie. Et après j’ai eu une directrice de casting qui s’est jointe au projet l’année suivante, et on cherchait ces profils.

Je lui avais fait une description, mais on était en plein COVID, parce que j’ai tourné le film en 2020 donc quand on a fait la prépa je pense qu’on était en mai-juin, donc tout se faisait par distance. Et en fait, Alex (qui interprète Cherry) à ce moment-là était à Atlanta, donc tout se faisait par Zoom. Mais je me souviens que j’ai donc regardé énormément de profils.

Mais quand on est tombé sur Alex, il y a un truc vraiment, je me suis dit « Je crois que j’ai trouvé ». Et en fait il a fallu se décider parce qu’Alex ne pouvait pas forcément venir à L.A. juste pour faire un call-back, pour faire une audition. Donc il a fallu se décider à distance. Je n’ai pas rencontré ma comédienne physiquement avant de la booker.

Donc la première fois que je l’ai rencontrée, il fallait que ce soit elle, et j’ai pas été déçue. Et en plus ça a été un bonheur de travailler avec elle, parce que c’est quelqu’un humainement qui est absolument formidable, donc vraiment du début à la fin c’était une très belle expérience de travailler avec Alex.

Nico PRAT
Les couleurs du film sont très vives, c’est un film très coloré ; comment on pense la couleur d’un film ? Est-ce que vous saviez d’entrée de jeu que vous vouliez que ce film ait un côté coloré, sans être flashy pour autant ?

Sophie GALIBERT
Moi déjà j’adore les couleurs. J’adore les couleurs chaudes donc je savais que ce serait un film plutôt dans des dominantes chaudes, et j’adore la couleur rouge… après le côté cherry, cerise, c’était pas vraiment prévu, mais j’étais sûre qu’il y aurait du rouge parce que c’est une couleur qui pour moi incarne la vie. Et c’est vrai que j’aime beaucoup la couleur mais, comme vous disiez, pas pour que ce soit criard. Pour moi, c’est plus un petit pas de côté ; on est toujours dans le monde réel, mais l’explosion de couleurs fait qu’on est aussi un peu ailleurs.

Et puis il faut savoir que L.A. (je vivais à Paris avant de venir ici) c’est une ville que je trouve très colorée, c’est une ville où on voit le ciel, où chaque soir quand il fait beau on a des couchers de soleil assez dingues, avec plein de couleurs, les maisons sont plutôt colorées, il y a vraiment beaucoup de couleurs dans cette ville, et c’est un truc qui m’a frappée en venant vivre ici.

Et c’était évident pour moi que ce film qui se passe à L.A., que je voulais un peu comme une lettre d’amour à Los Angeles (même si c’est d’abord Cherry), c’est vrai que je voulais montrer ce que j’avais aimé, pourquoi j’étais tombée amoureuse de cette ville. Et c’était aussi à travers ses couleurs.

Nico PRAT
C’est marrant que vous parliez de « lettre d’amour », parce que je m’étais fait la réflexion, je m’étais dit « Ce film n’aurait pas pu être le même à New-York » par exemple, qui est une ville peut-être un petit peu plus étouffante, un petit peu plus grise.

Sophie GALIBERT
Oui, complètement. En fait à L.A. il y a une lumière beaucoup plus chaude, on dit toujours que la lumière à L.A. est spéciale, je ne sais pas comment la décrire… c’est vrai qu’il y a quelque chose dans l’air, je ne sais pas si c’est le fait qu’il y ait l’océan, c’est vrai que c’est une ville qui est en face de l’océan Pacifique, il y a quelque chose d’assez doux en fait. Il y a une lumière naturellement dorée, et c’est quelque chose que je voulais partager dans ce film, pour envelopper l’aventure de Cherry qui est face à un choix difficile dans quelque chose d’assez doux.

Je pense que j’ai envie de raconter des histoires humaines avec douceur, et c’est vrai que la couleur apporte ça, elle apporte quelque chose de dynamique et qui en même temps ramène à l’enfance. J’ai un univers très tourné vers l’enfance, et je pense que la couleur apporte aussi cette candeur à l’histoire.

Nico PRAT
Il y a une vraie candeur, il y a une vraie tendresse aussi, et malgré tout on est sur une décision à prendre, potentiellement lourde de conséquences… Est-ce que s’est posée la question à un moment (soit au scénario, soit au tournage, soit même au montage) de trouver la bonne balance entre la légèreté apparente d’un personnage, d’une ville, des décors, et le poids du sujet ?

Sophie GALIBERT
Je savais que je voulais faire plutôt une comédie, c’est vrai que c’est plutôt une comédie dramatique mais pour moi c’était évident qu’il y aurait de l’humour, de la légèreté. C’est vrai que c’est pas évident de trouver la justesse, de savoir quand on va trop loin, quand une blague passe une ligne et que d’un coup ça change le genre, ou ça tombe à plat et ça marche pas… Je pense que dans l’énergie qu’Alex dégageait, donc dans l’énergie que je recherchais, il y a déjà un truc qui est un peu bancal, un peu foireux, mais en même temps léger, quelqu’un qui essaie de bien faire, donc je pense qu’il y a déjà beaucoup d’humour qui vient de là.

Le thème je ne voulais pas le traiter de façon trop dramatique, j’ai vu pratiquement tous les films qui sont soit sur l’avortement soit sur le choix, et c’est quand même souvent des films assez dark, pas déprimants mais assez noirs, et je respecte beaucoup ces films, je pense qu’ils sont essentiels, mais moi je voulais traiter le sujet avec une approche plus légère.

C’est bizarre de dire ça, mais parce qu’il n’y a pas de raison de parler de ce sujet forcément tout le temps en l’abordant de manière super déprimante, et donc c’était ma petite pierre à l’édifice en disant « Si on veut pouvoir libérer la parole, si on veut que l’avortement ou le fait de pouvoir décider par soi-même ne soit plus cet espèce de tabou dans nos sociétés, il faut le traiter de manière un peu plus légère ».

Donc je pense qu’il y avait ce désir de dire oui, effectivement c’est un sujet quand même délicat, grave, c’est pas une décision qu’on prend comme ça. En tout cas je ne pense pas que c’est une décision que les femmes prennent à la légère, il faut leur faire confiance là-dessus, mais il n’y a pas de raison que ce soit traité de manière si noire et si lourde…

Nico PRAT
Dramatique ?

Sophie GALIBERT
Dramatique, exactement.

Et comment traiter ça… Je ne sais pas si au montage, il y a maintenant quelques années, la balance entre légèreté et obscurité on va dire… je pense qu’elle s’est faite au fur et à mesure de l’écriture, du tournage, du montage, la musique… Faire un film c’est tellement un mix de plein de choses.

Nico PRAT
J’ai une dernière question pour vous : chez Filmo, on aime bien dire qu’on ose le cinéma, en tout cas on propose des films inédits, qui sortent des sentiers battus. Je me demandais, vous, est-ce qu’il y a un moment particulier dans votre carrière où vous avez particulièrement osé ? Et quel était ce moment ?

Sophie GALIBERT
Je pense que déjà quand je me suis dit « Paris j’en peux plus ». J’ai vraiment eu le sentiment que je pourrais jamais faire de films à Paris, pour plein de raisons, et j’ai décidé de partir. J’ai un peu tout balancé, je suis partie avec ma valise-cabine en laissant un peu tout derrière, et je pense que c’était la première fois que j’ai « osé ».

Et la deuxième fois je pense que c’est quand le COVID a commencé, moi ça faisait deux ans que j’écrivais mon scénario, je me disais « Allez, on va faire le film ! », et en fait le monde passe en lockdown, tout le monde est en confinement, et moi je me suis dit « Je m’en fous, je vais faire mon film quand même ». Parce qu’au final il y a toujours des raisons pour pas faire les choses, je me suis dit qu’une pandémie ne pouvait pas m’arrêter, donc je me suis dit quoi qu’il arrive c’est pas grave, on commence à préparer, on met tout en branle et puis dès qu’on peut on tourne.

Je pense qu’il ne faut pas attendre la permission de qui que ce soit, et il faut faire les choses.

Nico PRAT
Merci beaucoup, merci infiniment.


Voir le film

Articles recommandés

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *