Angèle Chatelier PARCE QU’IL est le pire réalisateur de tous les temps.
« Vous ne me connaissez pas mais je suis Ed Wood, producteur indépendant. » Sourire aux lèvres, dents blanches et regard malicieux, Edward Wood, incarné ici par Johnny Depp, est considéré comme l’un des pires réalisateurs de tous les temps. Pourtant, Tim Burton a décidé en 1994 de lui dédier un film. Notamment parce qu’il « écrivait au sujet de ses films comme s’il réalisait Citizen Kane, tandis que les autres les percevaient comme les plus mauvais films jamais réalisés », s’amuse le réalisateur dans le Irish Time à l’époque.
Pourtant, Ed Wood se concentre sur une chose : l’optimisme à toute épreuve. Vous êtes nul ? Tant pis, continuez ! Le film commence par un Hollywood gris et sous la pluie ? Ce n’est pas pour rien. Vivre de ses films, cette industrie, c’est un sacerdoce. C’est d’ailleurs l’un des messages qui transparaît dans Ed Wood : le cinéma, c’est parfois sombre, le business est juteux (le personnage du producteur véreux est parfaitement réaliste) et surtout, on peut y perdre son âme.
PARCE QUE c’est une adaptation libre et moderne.
Tim Burton a admis avoir pris quelques libertés. Johnny Depp qui incarne cet Edward Wood passionné mais naïf a déjà travaillé aux côtés de Tim Burton dans Edward aux mains d’argent, et l’alchimie se sent. Mais c’est bel et bien Martin Landau qui crève l’écran dans le rôle de Béla Lugosi, acteur déchu, colérique mais brillant. Sarah Jessica Parker est elle aussi touchante dans son rôle de femme au foyer, pourtant inspiration et soutien sans faille d’Ed Wood. Oui, Ed Wood aborde avec espièglerie des sujets de société de manière frontale mais toujours avec un brin de naïveté propre à Tim Burton : la transidentité, l’ambition comme l’industrie du cinéma. Et quand c’est le génie de Tim Burton qui nous le montre, c’est encore plus délicieux.
Le film est noir. Mais son personnage principal, jamais. Ed Wood, incarné par Johnny Depp, a beau être un réalisateur mauvais (on a même beau lui dire !), qu’importe. Ce qu’il veut, c’est faire des films. Ed Wood par Tim Burton rappelle à l’existence l’importance d’y croire. L’industrie du cinéma est parfois malhonnête, difficile d’accès et peu reconnaissante ? Soit. C’est en tout cas ce qu’arrive à nous montrer Tim Burton avec son côté sombre légendaire.
Dans Ed Wood, il a cependant pris des libertés sur la vie du réalisateur. L’optimisme à toute épreuve, c’est ce qu’a voulu montrer Tim Burton et c’est en ça qu’Ed Wood fait beaucoup de bien. Oui, soyez les bienvenus, « vous qui vous intéressez à l’occulte et au mystère », débute le film avec l’incroyable Martin Landau dans le rôle de l’acteur sénile, pauvre, mais poétique Béla Lugosi. Le film aborde d’ailleurs la question du maître et de l’élève, de l’intérêt parfois professionnel de l’amitié en ne sachant pas vraiment qu’elle place prend l’un sur l’autre.
Mais ce qui transparaît le plus, ce sont bien les sujets de société. Ed Wood aborde la question de la transidentité et du drag. Sur un ton parfois désuet (le film est sorti en 1994, ces questionnements n’avaient pas la même place qu’aujourd’hui) mais véritablement avant-gardiste. Jamais dans le pathos ni la moquerie. Dans Ed Wood, le personnage de Johnny Depp fait des films avec des brics et des brocs (en empruntant par exemple les vêtements de sa femme ou en n’ayant pas de permis de tourner) mais l’important chez lui, c’est l’optimisme toujours (et ça, dieu que c’est plaisant dans ce monde devenu si anxiogène).
Si le noir et blanc peut dérouter au départ, il est parfaitement dans la veine et le talent de Tim Burton. D’ailleurs, qu’est-ce que le talent ? Une question que l’on se pose avec ardeur tout au long du film. Peut-être que le talent, c’est simplement de « faire ». Sans se préoccuper de l’avis des autres. Ed Wood ne fait que nous le rappeler.
PARCE QUE c’est l’histoire d’un cinéaste sans talent racontée par un artiste qui en a beaucoup.
